« ALTA PRESSÃO », Céder aux sirènes (?) - Sandra Rocha & François Joncour

vendredi 29 avril au mardi 31 mai 2022

Le plus triste des chants est parfois le sérum le plus efficace contre le désespoir.

Dans le cadre d’un projet de création au long cours proposé par le Laboratoire BeBest, Fovearts et la Carène, un musicien brestois, François Joncour, et une photographe plasticienne açorienne, Sandra Rocha, ont exploré les côtes d’Oceanum nostrum, en Finistère et aux Açores, le temps d’une saison entre la France et le Portugal.
Pour comprendre en profondeur les dangers écologiques qui menacent ces espaces littoraux, ils ont partagé le même terrain de recherche et d’humilité que des scientifiques du Laboratoire BeBest à Brest et Okeanos aux Açores. Cette installation audiovisuelle en quatre tableaux ici présentée est une tentative paradoxale de faire le récit de beauté de ces espaces marins en sursit. Les deux artistes explorent le mythe de la sirène présent dans les imaginaires de ces deux territoires insulaires et valorisent ainsi les travaux des océanographes et ornithologues, auxquels il est urgent de prêter attention.

La figure de la sirène est un mythe aussi fécond que puissant pour interroger notre relation souvent contradictoire à l’environnement, nos puissants dénis devant l’immense catastrophe écologique et humaine en cours. Dans la culture bretonne, les Marie-Morgane sont des créatures de toute beauté, nées de la mer (« Mor ») qui se lovent dans les entrées des grottes sous-marines de Morgat ou qui attirent les embarcations de pêche sur les rifs d’Ouessant. Dans la mythologie grecque, les sirènes sont des créatures ailées, mi femmes-mi oiseaux marins. Elles séduisent les navigateurs attirés par les accents envoûtants de leurs chants et de leurs cris. Les marins, désorientés, fracassent leurs bateaux sur les récifs avant de se faire dévorer par ces enchanteresses.

Les deux artistes se sont mis en quêtes de ces sirènes contemporaines explorant tour à tour les rivages noirs et dentelés de l’ile volcanique de Terceira et les côtes granitiques et battues de l’Île d’Ouessant, au bout du Finistère. Pourtant, par nature, les sirènes de ces côtes se dérobent en permanence. Effleurées, elles s’incarnent dans ces adolescentes lumineuses puis se métamorphosent et reprennent leurs formes aviaires pour regagner les cieux azurs de l’île de Terceira ou raser les côtes brumeuses bretonnes.
Les sirènes sont invisibles mais partout présentes et les deux artistes se sont mutuellement inspirés pour nous guider vers elles.
Ces sont des présences furtives que les images organiques de Sandra Rocha dessinent. Les images fixes et animées sont extraites des profondeurs basaltiques et granitiques, des percées de lumières sur les eaux et des nuées qui brouillent les sommets des volcans. Sandra Rocha ne puise pas son inspiration sur les terres qu’elle arpente mais elle fabrique des images qui les prolongent et les rendent vivaces dans l’imaginaire. La photographe est tour à tour la sirène et la gorgone. Elle connait chaque passage vers les soufrières, sait où poser chacun de ses pas pour y descendre et y capter les derniers rayons du soir qui rendent fluorescentes les mousses vertes des coteaux. Elle dirige ses sujets pour que la lumière se pose parfaitement sur la cascade d’une chevelure et la peau ruisselante d’une épaule.

L’univers musical de François Joncour mêle sons captés par les océanographes, musique électronique, voix humaines, instruments à cordes et à vent. Sa texture sonore rencontre l’écriture visuelle onirique, à la chromie diaphane et ensorceleuse de Sandra Rocha, pour donner naissance à cette féerie magique et venimeuse à quatre mains.
Les créations musicales de l’un ont inspiré les images de l’autre, et vice-versa. Ici, les images fixes et animées de Sandra Rocha suggèrent les saignements d’une naïade blessée par l’hypnotique reflet magenta dans la mer qui se déverse dans un bassin au coucher du soleil. Là, des présences sont suggérées par les mouvements suspects et ralentis au bas d’une falaise, ou encore l’imminent surgissement d’un danger dans le plan fixe et d’une mer d’huile frémissante.
Les créations musicales de François Joncour ancrent l’ensemble dans un perceptible réel. Le poly-instrumentiste est un sorcier qui jongle avec les influences, les sons captés en profondeurs par les scientifiques, les chants des puffins des falaise et des perruches tropicales, pour donner voix aux créatures. Il a puisé dans la musique liturgique, la bossa nova, le Kan ha diskan et la pop anglaise pour offrir des partitions inspirées et gracieuses, ténébreuses, à Émilie, Camilla et Pauline.

Cette installation nous place dans un état d’enchantement, mais aussi dans l’attente d’une mystérieuse menace. Les sirènes sont tour à tour lanceuses d’alertes bienveillantes ou menaces de terreur et de mort. Leurs apparences glissantes et leurs voix enchanteresses ou stridentes nous perdent, nous endorment et nous réveillent. Figures évidentes de cette époque de catastrophes annoncées, elles hurlent les menaces dans le vide et se vengent ensuite de n’être pas entendues. A l’heure où d’autres sirènes hurlent sur Kiev, Kharkiv, Marioupol, les voix d’une jeunesse sous haute pression nous chantent sans fin que le merveilleux est empoisonné. Alors, cèderez-vous aux sirènes ?

Emmanuelle Hascoët

Les œuvres présentées dans la projection sont :
Douar Du, 7’05
Tropical Birds, 3’11
Ushant’s Birds, 3’53
Sereia Morganez, 4’20

Espaces artistiques associés :
La Carène, salle des musiques actuelles, Brest
Les Atelier des Capucins, Brest
L’ESKAL, Ouessant
Fonseca Macedo - Arte Contemporânea, Ponta Delgada

Les laboratoires scientifiques  :
LEMAR, Brest, France dans le cadre du projet BeBEST : Marie Bonnin, chercheur en droit de l’environnement marin à l’IRD au LEMAR et responsable du RISE H2020 "PADDLE, Luis Tito de Moraïs, chercheur et directeur UMR LEMAR (IRD/UBO/CNRS/IFREMER), Emmanuelle Cam, chercheur IUEM/LEMAR et professeure à l’UBO
OKEANOS, Açores : Héléna Calado, chercheur océanographe.

Projet proposé dans le cadre de la SAISON FRANCE-PORTUGAL 2022
« Le sentiment océanique » & dans le cadre du projet SONARS (La Carène, BeBEST, Fovearts)

La Saison France-Portugal 2022
Décidée par le Président de la République française et le Premier ministre portugais, la Saison France-Portugal se tiendra simultanément dans les deux pays entre le 12 février et le 31 octobre 2022. Au-delà d’une programmation qui met en avant l’Europe de la Culture, la Saison France-Portugal 2022 souhaite également s’investir concrètement dans les thématiques qui nous rassemblent et que défendent nos deux pays dans l’Europe du XXIe siècle : la transition écologique et solidaire notamment à travers la thématique de l’Océan, l’égalité de genre, l’investissement de la jeunesse, le respect de la différence et les valeurs d’inclusion.
A travers plus de 200 événements, la Saison a pour ambition de mettre en lumière les multiples collaborations entre artistes, chercheurs, intellectuels, étudiants ou entrepreneurs, entre nos villes et nos régions, entre nos institutions culturelles, nos universités, nos écoles et nos associations : autant d’initiatives qui relient profondément et durablement nos territoires et contribuent à la construction européenne

https://saisonfranceportugal.com/evenement/alta-pressao/

https://sonars.io/Exposition-Alta-Pressao-68