"J’ai découvert le travail de Liz Hascoët à l’occasion de l’exposition « Arctic Blues » présentée aux Ateliers des Capucins à Brest en 2019. La vision de ses dessins représentant les océanographes bretons et la biodiversité sous-marine au cœur de leurs recherches a fait germer l’idée d’une résidence d’artiste à Séné. Liz est venue régulièrement à la réserve au cours d’un cycle saisonnier en 2024. Elle a observé attentivement les oiseaux, les paysages, la gestion du site, les visiteurs, posé de nombreuses questions pour mieux connaître la biologie des espèces, comprendre la gestion de la réserve. Elle a accumulé les images, imaginé des histoires qui se sont progressivement concentrées autour de quatre espèces.
Le choix des protagonistes de cette exposition s’explique par l’attention qui leur a été portée à Séné et ailleurs. Elles sont particulièrement étudiées. L’histoire commence avec la Spatule blanche, espèce rare et localisée en Europe au moment de la création de la Réserve naturelle. Des collègues néerlandais équipent des individus avec des bagues de couleur pour mieux connaître leurs migrations, de très nombreuses observations sont réalisées à Séné. Puis viendra l’histoire de Sinagote, une femelle équipée d’une balise satellite qui sera suivie pendant huit ans. L’étude de l’Avocette élégante a débuté en 1996 par du baguage qui a permis de collecter une masse d’informations sur la vie de ces oiseaux. Regardez bien leurs pattes, vous aurez peut-être la chance croiser la route d’une avocette de plus de vingt ans ! L’intérêt pour le Canard siffleur et le Courlis cendré est plus récent, l’utilisation de petits GPS permettant de suivre des individus durant leur séjour dans le golfe du Morbihan et au cours de leurs migrations. À chaque fois, ces études mettent en évidence la diversité des comportements individuels et la personnalité de chaque oiseau.
Cette exposition nous rappelle que les marais de Séné et la rivière de Noyalo sont un lieu d’escale pour de nombreuses espèces où se croisent des histoires individuelles. Il existe une diversité de façons de vivre en Avocette, Courlis, Siffleur ou Spatule - l’histoire de chaque individu est singulière - et une multitude de manières d’habiter les marais de Séné, pour les humains et non-humains."
Guillaume Gélinaud
Conservateur de la Réserve naturelle des marais de Séné
Ce projet est le fruit d’une commande de la Réserve naturelle des marais de Séné
La coordination artistique a été assurée par Fovearts (www.fovearts.com)
Le projet a été rendu possible grâce au soutien :
– du Fonds vert de la Direction générale de l’environnement, de l’aménagement et du logement DREAL Bretagne
– du Fonds européen de développement régional - FEDER
– de la Mairie de Séné.
Liz Hascoët ou « la décision du trait ».
Liz Hascoët a fait le choix du dessin pour rendre compte de son rapport à la nature, pour dire ses racines cornouaillaises et retranscrire l’identité des lieux qui la fascinent. Son blason de dessinatrice est frappé de deux armoiries : simplicité des outils et spontanéité du geste.
Son goût pour cette technique est né d’une rencontre, lorsque qu’elle avait dix ans, avec le peintre Fanch Moal. Ce maitre-compagnon lui a transmis les bases : observer, travailler et traduire. Cette passion pour le crayon doublée d’un attrait pour la matière textile l’a conduite vers des études d’arts appliqués et de design textile la menant de Roubaix à Galashield (Ecosse) en passant par Turku (Finlande). Elle y a expérimenté plusieurs pratiques : dessin à l’encre, tissage, tricot, broderie, sérigraphie. Sa curiosité et sa bonne humeur ont provoqué par la suite des rencontres avec des artistes et artisans auprès desquels elle a recueilli des savoir-faire précieux lui ouvrant la voie de nouvelles expérimentations et la guidant aujourd’hui pour tester différents types de supports pour ses œuvres comme le lin ou les papiers végétaux.
Liz « dessine comme une boxeuse cherchant l’impact, dans les miniatures, comme dans les grands formats tracés à même le sol » * dans son atelier de Port Louis. La fascinante éruption de son trait libre, incisif et dynamique est rendue possible grâce à un long travail de maturation. En préalable au dessin, elle arpente le terrain, observe et échange avec ses sujets afin de se mettre dans leur regard, de connaitre l’histoire derrière le modèle. Elle nourrit ainsi sa créativité pour produire l’œuvre la plus percutante possible. Si elle prend parfois quelques photographies, si elle lit scrupuleusement tout ce qu’elle trouve sur son sujet, elle ne croque jamais son dessin sur le terrain. Une fois les phases d’enquête et d’observation terminées, elle réintègre son atelier avec « sa valise » pleine d’inspirations et d’images. Là, son esprit se met en branle rassemblant tout ce qu’il a charrié afin de conceptualiser l’histoire qu’elle va raconter sur le papier et de perfuser d’encre sa vision. Elle cartographie alors les différents plans, bâtit intellectuellement l’architecture de sa composition. Puis elle fait surgir d’un geste ses premiers dessins, posant le cadre de l’histoire. Liz aux pupilles azur avance ensuite par strates, organisant les éléments les uns après les autres d’un trait décidé, sans esquisse, ni rature.
Si son univers croise souvent celui de scientifiques dans leurs laboratoire (océanographes plongeurs du groupe BeBest au LEMAR de Brest, glaciologues de l’Institut Paul Emile Victor sur la base de Dumont Durville en Antarctique), d’ornithologues de la Réserve naturelle des marais de Séné, d’apiculteurs ou de forestiers, c’est qu’elle partage avec eux une passion pour la nature et une sensibilité évidente pour les enjeux environnementaux. Elle n’a pas de mal à se faire accueillir en résidence au sein de ces groupe de recherche. En effet, pour un scientifique, un dessin s’avère plus précis qu’une photographie pour rendre compte avec détails d’une morphologie, d’une géologie, d’un phénomène climatique. Le dessin de Liz Hascoët s’apparente à première vue à des dessins naturalistes, et donc à cette pratique de retranscription manuelle dans laquelle les scientifiques se reconnaissent. Mais il ne faut guère se fier aux apparences car ses compositions nous invitent à voyager dans le réel augmenté de ses projections imaginaires et poétiques d’encre, de fils brodés et d’aplat de couleurs. Ses montagnes arctiques, ses mondes sous-marins, ses marais traversés de spatules et d’avocettes sont autant d’hommages au courage des oiseaux et à la fragilité des icebergs.
Emmanuelle Hascoët
Liz Hascoët est représentée par la galerie « La Corne de fer » à Confort-Meilars
*extrait du texte de Alexis Gloaguen en préface de l’ouvrage « Liz Hascoët » aux Editions Nanga