Sandrine Paumelle - Pénelope des Glaces

Refuges au Spitzberg - mission 2013

« Je me lève ce matin et j’ai l´impression d´un autre voyage. Plus de toundra mais une neige abondante et des lumières changeantes …. le Pôle Nord est vraiment là. »

Pénélope des glaces

Sandrine Paumelle a accompagné en 2013 la mission BeBEST/BB POLAR sur la base arctique de Ny-Ålesund, située sur l’île du Spitzberg, dans l’archipel du Svalbard, en Norvège. Positionnée à 80° nord, Ny-Ålesund est la localité la plus au nord de notre monde. Ce village minier a été fondé en 1916 par la société Kings Bay Kull Compani AS, qui cesse ses activités en 1962 après l’explosion d’un puits où vingt et un mineurs perdent la vie. Ny-Ålesund a été le point de départ d’expéditions arctiques, dont celles de Roald Amundsen, de Lincoln Ellsworth et d’Umberto Nobile. En 1966, un centre international de recherche sur l’Arctique et de surveillance de l’environnement y voit le jour.
L’idée de création de Sandrine Paumelle dans ce décor immense, blanc et pur des terres arctiques était dès le départ un peu paradoxale. Se sentant inhibée par ce paysage vécu comme hostile, elle n’a pas cherché à sortir de la base, à parcourir les terres glacées, à accompagner les chercheurs en mer. Son mouvement a été l’inverse de celui des scientifiques. Elle a focalisé son travail sur ces paysages intérieurs, limitant son périmètre d’exploration à la base seule et à ses habitations. Or le passé de la base est encore présent, les maisons des mineurs sont demeurées là, intactes. Elles restent toujours ouvertes, retraites en cas d’attaque d’ours polaire. Sandrine Paumelle s’est introduite dans ces refuges et s’est faite la passeuse d’histoires ensevelies sous les neiges. Elle s’est inventé un personnage, Pénélope des glaces, filmant, tricotant, creusant de façon obsessionnelle le passé de ce village abandonné le jour et retrouvant sa place dans le groupe le soir. Sandrine/Pénélope a réveillé le fantôme d’une femme qui aurait vécu là au début du siècle. Elle s’est mise en scène seule, s’est filmée, et nous livre ici ces images intimes de la fragilité d’un quotidien. Elle ne tisse pas, elle tricote, et le cliquètement des aiguilles nous raccroche à une réalité perdue. Chaque geste de Pénélope revêt une dimension particulière et devient, par la répétition, geste chorégraphique, geste ancestral et patrimoine immatériel. Pénélope passe d’une maison abandonnée à l’autre, s’y installe et rejoue les actions répétitives du quotidien. Ce travail de collecte, de mémoire rejoint celui des biologistes marins dans leur besoin d’étude des conditions paléo-environnementales de notre planète.
Depuis ses refuges, la plasticienne a aussi capté des images du dehors, au bord des fenêtres. Cette notion de bordure, de frontière est le fil conducteur de son travail polaire. Elle regarde par la vitre et tricote sans fin comme si elle tentait, par cette pratique, de rattacher deux territoires : celui de la chaleur du foyer avec celui des immensités glacées, celui de la concentration intérieure avec celui de l’émerveillement face à la beauté de ces paysages, celui de son émotion créative débordante avec celui de sa difficulté à saisir tout l’enjeu précis des recherches des biologistes qu’elle accompagne.
Au milieu de la base résiste une serre botanique aux vitres brisées. Sa beauté abandonnée a fasciné l’artiste, qui en a fait plusieurs images et a imaginé une installation la représentant pour y loger sa création, ultime refuge. Cette inutile serre ouverte aux vents de glace a aveuglé l’artiste ; la beauté décadente camouflant le symbole d’un changement climatique en cours, d’une catastrophe annoncée.

Emmanuelle Hascoët

https://sandrinepaumelle.org/